Textes |
|
Vivien Leigh Par Didier Decoin
La scène du corset que la nounou lui serre autour de sa taille de guêpe
m'avait laissé de glace. Idem sa façon de courir sous les grands
arbres en faisant valser sa crinoline. Mais il a suffi d'un mot - idiot, de
surcroît - et ce fut l'irrémédiable coup de foudre : Taratata
! dit-elle dans Autant en emporte le vent. Un taratata persifleur, sec et narquois,
et dominateur, façon muselière pour réduire les hommes
au silence. Un taratata de petite punaise, de franche petite garce. En écrivant
ce taratata, le dialoguiste d'Autant en emporte le vent n'eut sans doute pas
l'impression d'avoir gravé une immortelle réplique du genre « T'as
de beaux yeux, tu sais ! ». Seulement voilà, c'est à Vivien
Leigh, gamine anglaise née en Inde, dont le souffle tiède sentait
le thé darjeeling avec un nuage de lait, que David O. Selznick et Victor
Fleming eurent l'idée de le faire dire, prononcer, claquer, ce taratata-là.
Et toc ! Avec son sacré taratata, Vivien Leigh m'a eu, m'a si bien possédé,
si bien envoûté que, des années durant, j'ai guetté,
aux lèvres de mes flirts, la naissance et l'éclosion d'un taratata
comme le sien.
En vain : taratata, il n'y a jamais eu que Vivien Leigh pour le dire. Le dire
trop vite, d'ailleurs, c'est à peine si l'on a le temps de voir palpiter
entre deux rangées de perles blanches et mouillées (chez d'autres
humaines, on appelle ça des dents) un petit bout de langue d'un rose
absolument confondant (merci pour ce rose aux trois opérateurs qui se
sont succédés sur le film).
Dès lors, j'ai suivi Vivien Leigh de film en film, comme le rat trottine
sur les pas de son charmeur, comme l'amateur d'oiseaux s'enfonce dans la sylve,
captivé par le chant mélodieux du rossignol qui, en une seule
trille, l'a enfermé dans un songe sans sortie de secours.
Malgré l'oscar que lui a valu son interprétation de Scarlett
O'Hara, ce n'est pas dans Autant en emporte le vent que miss Taratata est au
mieux d'elle-même. Ni dans Lady Hamilton, de Korda, où je la trouve
pimbêche. Non plus dans Anna Karénine, où elle s'emmêle
un peu entre les élans slaves d'Anna et sa propre élégance
shakespearienne. Encore moins dans Un tramway nommé Désir, où je
la déteste carrément en folle échevelée, non, Vivien
Leigh est réellement sublime dans un film au demeurant assez nul de
Mervyn LeRoy qui s'appelle Waterloo Bridge.
Elle n'y dit pas taratata, pourtant.
Encore que ! La pluie anglaise qui tombe sur les trottoirs mouillés
chante son taratata pour Vivien, dont le pauvre petit coeur, brisé par
un scénario de roman de gare, le reprend en écho, sous le feutré doux
de ses adorables seins qui se soulèvent à chaque soupir - et
Dieu sait si l'on soupire, dans Waterloo Bridge...
Allez, sans rire ! Taratata n'est pas qu'une expression rigolote : c'est le
cri enfantin qui traduit le refus de la vie, de la réalité -
le refus de devenir grande - dans lequel s'est enfoncée, jusqu'à sa
mort en juillet 1967, cette petite fille aux yeux et aux lèvres humides,
irradiée d'une lumière qui allait sans cesse en s'éteignant,
comme un fondu au noir.
DIDIER DECOIN
AUTANT EN EMPORTE LE VENT Gone With the Wind de Victor Fleming 1939
LA VALSE DANS L'OMBRE Waterloo Bridge de Mervyn LeRoy 1940
UN TRAMWAY NOMME DÉSIR A Streetcur Named Desire d'Elia Kazan 1951
L'AUTRE HOMME The Deep Blue Sea d'.\natole Litvak 1955 LA NEF DES FOUS Ship
of Fools de Stanley Kramer 1965